L’orgue François-Henri Clicquot de Souvigny
L'attribution de l’instrument de Souvigny à François-Henri Clicquot est sans ambiguïté, bien qu’on ait pu souligner qu’il s’agit là l’un de ses chantiers les plus éloignés de la capitale, avec Nantes. Certes aucun document, aucun contrat ne nous est parvenu ; toutefois, la signature de Clicquot est présente, bien cachée aux yeux du profane, dans trois parties de l'orgue : les deux sommiers de pédale avec la date de mai 1782, et le sommier de positif où il est fait mention du règne de Louis XVI, du triennat de Dom Lacroix et où apparaît l'année 1783. C’est, après la construction de la sacristie, le dernier ornement de l’abbaye bénédictine, fille aînée de Cluny, avant la tourmente révolutionnaire.
L'orgue de Souvigny se place, dans la production de l'artisan facteur, entre le gigantesque instrument de Saint-Sulpice (1781) (dans un buffet de Chalgrin) et la restauration de Notre-Dame de Paris (1788), c'est-à-dire un moment où le génial facteur est au faîte de son talent et de sa notoriété.
François-Henri Clicquot représente la quintessence de la facture d’orgues de l’ancien régime. Son grand-père, Robert, était facteur d’orgues du roi Louis XIV. Son père, Louis Alexandre, était facteur d’orgues du roi Louis XV. François-Henri Clicquot (1732-1790), lui-même facteur d’orgues du roi Louis XVI, est ainsi l’héritier d’un savoir-faire d’excellence issu de deux générations. Ses contemporains étaient unanimes à louer la qualité de ses réalisations, tant sur le plan sonore que mécanique. Au même moment où il construisait dans la province du Bourbonnais l’orgue de Souvigny, François-Henri Clicquot érigeait à Saint-Sulpice à Paris, sur un buffet de Chalgrin (qui dessina l’Arc de Triomphe) son plus grand ouvrage, un orgue monumental à 5 claviers, qui passait pour le plus fameux d’Europe. À Souvigny, alors au faîte de sa carrière, loin de la pression parisienne, maîtrisant parfaitement son art sur un instrument de taille moyenne (l’orgue de Souvigny répartit ses 28 registres sur 3 claviers et pédalier), il n’est pas interdit de penser que Clicquot signe là, pour l’église dédiée à Saint-Paul et Saint-Pierre, son chef-d’œuvre.
Il est parfois bien difficile de tracer sur le papier les mérites d’un instrument de musique dont la finalité est évidemment sonore. Mais il n’est peut-être pas inutile de donner un exemple de détails techniques pour montrer la qualité et le soin apporté à la réalisation de cet orgue. Rien n’était inaccessible au facteur d’orgues du roi. Pour la réalisation de toutes les parties en bois (sommiers, structure, claviers, mécanique), Clicquot utilisait du chêne de Hollande. Il s’agissait de bois français que l’on envoyait en Hollande pour une immersion de plusieurs années dans les canaux, où le chêne recevait tantôt l’eau de mer, tantôt l’eau douce. Cette immersion réalisée, le bois revenait en France où il séchait encore plusieurs années. Après ce traitement, quasi impossible à réaliser aujourd’hui pour des raisons économiques et de temporalité, le chêne avait acquis une solidité exemplaire, devenant insensible aux déformations ainsi qu’aux attaques des parasites. Que ce soit pour le bois que nous venons de prendre en exemple, mais aussi pour les métaux, les peaux, et tous les autres matériaux qui entrent dans la composition d’un orgue, François-Henri Clicquot produisait des instruments dont la qualité était largement au-dessus de celle de ses contemporains, ce que tous les facteurs d’orgues du XIXe siècle ayant travaillé a posteriori sur ses instruments, ont loué et admiré.
De tous les instruments construits par François-Henri Clicquot, suite aux vicissitudes du temps, aux transformations malheureuses ou modernisations dues à l’évolution du goût, deux seulement nous sont parvenus intacts : l’orgue (1791) de la cathédrale de Poitiers et celui de Souvigny. Or, il faut savoir que l’instrument de Poitiers, en raison du décès de François-Henri en 1790, a été achevé par son fils Claude-François Clicquot (1762-1801). L’orgue de Souvigny représente donc le dernier instrument de cet art de la facture d’orgues de l’ancien régime, porté à son apogée, intégralement construit par François-Henri Clicquot.
Depuis la construction de l’instrument à la fin du XVIIIe siècle, une seule restauration d’envergure a été menée, en 1887, par Henri Goydadin. Aujourd’hui, malgré des soins attentionnés et incessants, l’instrument, qui fait encore bonne figure auprès du public, est dans un état inquiétant : corrosion de la tuyauterie, poussière envahissante, perte d’étanchéité (sommiers, laye) engendrant une justesse devenue approximative.
JLP janvier 2023
Description du buffet d’orgue
Buffet en deux corps, grand-orgue et positif de dos. Boiserie traditionnelle, voire archaïque pour l'époque, qui emprunte peu à la nouvelle grammaire du style Louis XVI. Deux meubles au schéma similaire, avec chacun trois tourelles, la plus petite au centre. Les plates-faces sont surmontées de pièces courbes chantournées, vaguement rocaille, ornées de motifs végétaux. Les culots des tourelles font également appel au répertoire végétal, parfois à la feuille d'acanthe. Il en va de même pour les claires-voies des tourelles et au sommet des plates-faces dont les guirlandes et les palmettes s'achèvent en volutes. Sur les tourelles extrêmes du positif, un dôme à écailles sert de support à un vase à feu. Au centre, un cartouche présente les armes du prieuré (une clé un glaive / Saint-Pierre et Saint-Paul) flanquées de chutes de lauriers retenues par des cordons.
Au grand-orgue, c'est un petit orchestre d'anges musiciens qui surplombe les tourelles : à gauche, un hautboïste et un gambiste. Au centre, un bambin souffle dans une trompette droite dont le fanion porte un drapeau orné d'un blason qui n'a pu encore être déchiffré par les spécialistes de l'héraldique; à ses pieds, divers instruments et partition. À droite, un ange chanteur lève fièrement sa partition, tandis qu'un autre souffle dans un sacqueboute. (d'après Henri DELORME, L'orgue François-Henri Clicquot de Souvigny, Histoire d'un instrument et de sa notoriété, Revue d'Auvergne, 2010, n° 595-596, pp. 233-234).
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Le Livre d’orgue de Souvigny
Plusieurs de nos églises en France conservent aujourd’hui, intactes, restaurées ou reconstruites, des orgues du XVIIIe siècle, dans de somptueux buffets. Leurs anches éclatantes, les fonds moelleux et les plein-jeux scintillants, leurs jeux de tierce poétiques, font les délices de ceux que nous pourrions appeler les "amateurs" de l’orgue français classique, lesquels se plaisent à jouer ou enregistrer sur ces instruments Couperin, Marchand, Grigny, Guilain, du Mage, Clérambault, Daquin… et, plus récemment, grâce aux travaux des musicologues, Balbastre, Lasceux, Beauvarlet-Charpentier… Pour ces instruments qui ont traversé les siècles et qui sont plus que deux fois centenaires, on s’est rarement interrogé sur le répertoire qui pouvait être interprété sur leurs claviers au début du XIXe siècle. La mise au net de partitions manuscrites jusqu'ici inexploitées pourrait certes paraître un cas particulier mais constitue aussi un élément, une piste de réponse.
Depuis presque un demi-siècle que je fréquente la tribune de l’orgue François-Henri Clicquot de Souvigny, j’ai toujours vu, intrigué, dormir dans une vieille chemise noire, pêle-mêle, diverses partitions anciennes : il y a là-dedans, très fragmentairement, quelques pages de musique imprimée, des extraits de variations pour piano de Mozart, un feuillet de magnificat du 5e ton qui n’a été identifié que très récemment[1], et différentes partitions manuscrites, dans des états variables, écornées, parfois piquées par les vers ou, a contrario, de belle présentation : ce sont ces partitions manuscrites, inédites à notre connaissance, qui font l’objet de la présente publication.
Il est raisonnable de penser que ces œuvres, anonymes pour la plupart, visiblement de plusieurs mains (nous décelons trois écritures différentes), faisaient partie du répertoire des anciens organistes de l’orgue de Souvigny au XIXe siècle. Œuvres anonymes pour la plupart, car toutefois on lit, de ci, de là, d’une écriture assez maladroite, les noms de Diestch[2], d’Ortigue[3], A. Théophile [4]…
Les organistes qui ont touché l’orgue de Souvigny au XIXe siècle ne sont pas tous connus avec certitude. Si l’on a conservé le nom de certains, bien difficile serait d’imaginer leur répertoire, leur technique, mais ces manuscrits pourraient combler cette lacune. On citera, dans les années 1840, Célestine Déchet (1827-1887), puis l’abbé Jacques Noël (1813-1887) « que l’on venait entendre de fort loin »[5]. Les registres des comptes de la paroisse montrent que celle-ci n’avait pas hésité à payer les frais d’étude de l’organiste. À côté de ces "titulaires", notons la venue occasionnelle de Bonaventure Laurens de 1827 à 1847[6], et le passage de Frédéric (ou Friedrich) Grattemann en 1828[7].
D’autres "indices" sont à relever pour apprécier dans quelle mouvance se situait l’orgue Clicquot de Souvigny au XIXe siècle : les travaux en 1841 par Claude-Joseph Delor, contremaître de chez Daublaine Callinet, la citation de Félix Danjou en 1845 dans la Revue de la Musique Religieuse, Populaire et Classique[8], la proximité de Louis Diestch à Moulins pour l’inauguration de l’orgue Callinet de l’église Saint-Pierre en 1851[9]. Autant de noms dont on connaît les engagements, les convictions[10], lesquels, à l’opposé de Lefébure-Wély et Cavaillé-Coll, deux artisans d’un nouveau style, ou loin de la simplification parfois réductrice d’un Miné ou d’un Fessy, croient en une musique exigeante et de haute tenue pour l’église, quitte à passer pour réactionnaires, passéistes ou inféodés à l’Allemagne. Ici, pas de vigoureuses basses de Trompette, ni de musette pittoresque sur la Voix humaine : le timbre paraît secondaire et s’efface le plus souvent au profit du contrepoint ; nous sommes bien loin de l’ornementation d’un Nivers, ou de la rhétorique de Grigny.
Plusieurs pièces du manuscrit sont incomplètes (pages manquantes) et n’ont, en conséquence, pas été retranscrites. S’il s’agit, selon toute vraisemblance, nous l’avons dit plus haut, du répertoire musical dont pouvaient user les organistes de l’orgue Clicquot au XIXe siècle, il est clair cependant que ces pièces n’ont pas été composées spécifiquement pour l’instrument de Souvigny : certains détails l’attestent, comme le nombre de claviers demandé (jusqu’à cinq, en sollicitant la Bombarde et l’Écho[11]), la tessiture des claviers (puisqu’à plusieurs reprises on lit un Mi 5; la partition réclame également le Do# 1, que l’orgue de Souvigny ne possède pas). Seuls les très grands instruments possédaient un Nazard à la Pédale, que Clicquot n’a évidemment pas posé à Souvigny.
Certes, il y a bien, ça et là, quelques maladresses, y compris dans les registrations. L’écriture de certaines phrases en octaves à la main droite, typiques du piano, n’est pas toujours des plus heureuses, mais elle relève de l’exception. Dans l’offertoire pour le jour de Pâques, l’auteur abuse d’une alternance entre le clavier de Bombarde et le Positif, sans même avoir recours au clavier de Grand-Orgue comme "intermédiaire", ce qui constituait pourtant une évidence.
Au pédalier, les œuvres font appel au ravalement (au contre SOL), y compris sur les Fonds et, visiblement, l’auteur ne dispose pas d’un contre FA #, ce qui le conduit à quelques bizarreries (Offertoire en Sol, mesures 72 et 73).
Il est significatif que les registrations type « chœur de Cromorne », « chœur de Voix humaine », « chœur de Nazard » prédominent sur les récits. On reste très proche, pour les mélanges des jeux, de cette table un peu simpliste que Miné et Fessy préconisent dans le Guide de l’organiste (± 1840), limitée à 14 mélanges.
Si l’on se réfère aux registres réclamés sur les partitions (en excluant la Tierce en taille et le Tambourin que nous avons commis), on retrouve les jeux les plus communément usités dans la première moitié du XIXe siècle. Citons pêle-mêle : Fonds, Flûte, Prestant, Nazard, Plein-Jeux, Cromorne, Voix humaine, Bombarde, Trompette, Clairon. Mais le Cornet (déjà passé de mode) n’est jamais nommé, même si on l’imagine facilement dans la variation volubile de l’Offertoire pour le jour de Pâques (à partir de la mesure 74). Pas plus que ne sont présents Salicional et Gambe, que les Callinet placent déjà très fréquemment dans leurs instruments dans la première moitié du XIXe siècle.
Les modulations sont parfois éloignées, allant parfois jusqu’à Ut dièse majeur, ou Ré bémol majeur, ce qui laisse supposer un instrument au tempérament égal.
Selon les uns, cette musique sombrera, pour les passages les plus brillants, dans la grandiloquence quand, pour d’autres, elle ne manquera pas d’allure : c’est notamment le cas des trois Offertoires présents dans ce recueil. Mais beaucoup de pièces dénotent une certaine finesse, une élégance dans la conduite mélodique, une subtilité dans l’écriture (retards, chromatismes) que l’on pourrait rapprocher du style de François Benoist, organiste du conservatoire, ou encore de l’écriture d’Alexandre-Pierre-François Boëly, grand admirateur de J.-S. Bach. On notera aussi le soin des doigtés qui ont été intégralement reportés dans la présente édition.
La pièce sans doute la plus étonnante, et la moins attendue à cette époque, est le court Amen sur le Plein-Jeu, dans la grande tradition du XVIIIe siècle.
Bien qu’il n’y ait pas, à proprement parler, de citation de thème liturgique, si ce n’est le O Filii, toutes ces pièces sont pensées pour l’office : Entrée, Verset ou Strophe d’Hymne, Offertoire, Élévation ou Communion. On comprendra alors aisément que la longueur des morceaux soit très variable : de quelques lignes (17 mesures) à plusieurs pages (285 mesures). Les pièces sont soit concises et libres, souvent dans une polyphonie à trois parties, parfois de forme ABA, soit plus développées ; à cet égard, attirons l’attention sur la Communion ou Élévation en Fa majeur (n° 9), en forme de rondeau, d’une belle fluidité.
Aussi, si l’on extrapole, le répertoire des organistes du début du XIXe siècle, même en province, ne tombait pas nécessairement dans ces flonflons que certains ont bien voulu dépeindre. D’autant que l’alimentation en vent des orgues du XVIIIe siècle était peu favorable aux accords syncopés dont vont user certains modernistes[12]. La musique, même si elle n’était plus celle des maîtres français du XVIIIe siècle, bien oubliés, pouvait conserver une certaine tenue. Au regard de l’élégance de ces pièces, selon le mot de Danjou, notre anonyme pourrait bien se targuer de « ces récompenses qui suffisent aux âmes honnêtes, savoir : la conscience du bien qu’on fait et l’estime des esprits éminents »[13].
Le Livre d'orgue de Souvigny est disponible aux éditions La Sinfonie d'Orphée :
https://lasinfoniedorphee.com/fr/product/livre-dorgue-de-souvigny/
JLP juillet 2020
[1] Il s'agit d'un extrait du 3e livre du Manuale organi - recueil de 100 morceaux pour orgue applicable aux messes et aux offices de Jacques Claude Adolphe Miné (1795-1869).
[2] Louis Diestch (1808-1865), élève de Choron et Reicha, organiste, chef d'orchestre et compositeur, fut notamment maître de chapelle à Saint-Eustache à Paris.
[3] Joseph d’Ortigue (1802-1866) est un musicographe, critique musicale et historien de la musique française. Ses travaux sur la musique du Moyen-Âge et le plain-chant ont fait autorité au XIXe siècle.
[4] Les œuvres de ces deux derniers compositeurs n’ont pas été retranscrites ici, car elles sont incomplètes dans le manuscrit. A. Théophile, malgré nos recherches, reste une énigme.
[5] Mémorial de l’Allier, 5 décembre 1872.
[6] DELORME (Henri), Les dessins exécutés par Bonaventure Laurens à Souvigny de 1827 à 1847, in Souvigny, des sires de Bourbon à l’animation du patrimoine, Revue d’Auvergne, Albédia Imprimeurs, Aurillac, 2011, pp. 51 – 65. Bonaventure Laurens légua toute sa riche bibliothèque musicale à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, avec notamment un manuscrit authentique de J.-S. Bach et un original des deux messes de Couperin.
[7]Cf. PERROT (Jean-Luc), L’orgue de Souvigny à travers les siècles, Cahier synthèse n° 9, 2e édition 2019, Mairie de Souvigny, 35 p. Grattemann, d’origine suisse, a été aussi "repéré" à La Chaise-Dieu, où il a proposé en 1832 un devis non suivi d’effet pour la restauration de l’orgue.
[8] P. 261 : « Les meilleures orgues de France sont celles de St-Sulpice à Paris ; St-Pierre à Beauvais ; la cathédrale de Poitiers ; l’église de Souvigny ; Notre-Dame à Bordeaux ; la cathédrale de St-Claude ; St-Sernin à Toulouse ; la paroisse de Dôle ».
[9]Messager de l’Allier, 3 juillet 1851.
[10]Prenons comme exemple : D’ORTIGUE (Joseph), Dictionnaire liturgique, historique et théorique d’orgue (1853-1860), collection les Introuvables de l’orgue, Éditions du Bérange, Saint-Geniès-des-Mourgues, réédition avec une préface de Roland Galtier, 1998, 152 p.
[11]Alexandre Fessy, comme Adolphe Miné ou Justin Cadaux, dans leur méthode d’orgue, prennent comme orgue « modèle » l’exemple d’un instrument à 5 claviers manuels et pédale. Parmi les orgues à 5 claviers manuels au début du XIXe siècle, citons à Paris : Notre-Dame, Saint-Sulpice, Saint-Gervais, Saint-Nicolas-des-Champs, Saint-Roch ; en province : Albi, Beauvais, Bordeaux, Évreux, Nantes, Rouen, Tours… L’auteur anonyme des pièces du présent cahier était peut-être titulaire d’un de ces prestigieux instruments.
[12] Même Franck ! Cf. l’Andantino en Sol mineur.
[13] DANJOU (Félix), Revue de la Musique Religieuse, Populaire et Classique, 1845, p. 195.
Au sujet d'un CD consacré à Guillaume Lasceux (Poissy 1740 – Paris 1819).
Lasceux est une figure marquante de l’orgue classique français. Élève de Charles Noblet, marié à Marie Henriette Pigeon en 1767 dont il aura 4 enfants[1], Lasceux fut organiste de plusieurs tribunes parisiennes (Saint-Étienne-du-Mont, Couvent des Mathurins…). Compositeur fécond dans différents genres -romances, motets, sonates, quatuor[2]…-, il est remarquable par sa longévité, à la fois en tant qu’exécutant mais aussi comme compositeur puisque sa production pour son instrument favori, l’orgue, s’étale de 1772 (Journal de pièces d'orgue contenant des messes Magnificat et Noëls) à 1820 (12 fugues). Il offre la particularité d’enjamber largement le siècle et de porter au début du XIXe siècle un regard teinté de nostalgie sur la période pré-révolutionnaire. Si Lasceux a publié un vaste corpus imprimé, à mettre en regard des ouvrages de Jean-Jacques Beauvarlet dit Charpentier ou Josse-François-Joseph Benaut, on retiendra particulièrement de lui un curieux et unique Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue (1809) du plus grand intérêt. Dans cet ouvrage, fait rare, il donne, par le truchement de la plume de Monsieur Traversier[3], amateur d’orgue, membre de la Société académique des enfants d’Apollon, son témoignage sur l’orgue, l’enseignement, la transmission, déplorant que « ce bel art touche à sa fin et est menacé de disparaître de la France à défaut d’élèves et de livres classiques en ce genre »[4].
Unique et du plus grand intérêt, venons-nous d’écrire. En effet, si les publications imprimées de Lasceux sont destinées à un usage commercial, comme les journaux d’orgue de ses contemporains, c’est-à-dire pensées pour des personnes de petit talent d’abord au service des offices, l’Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue, œuvre manuscrite, procède de pièces de grande dimension, d’une réelle virtuosité, presque toutes avec pédale obligée (notée à la manière "moderne" sur une 3e portée) et, pour la majorité d’entre-elles, sans réelle destination liturgique. Nulle part ailleurs, chez aucun auteur, on ne trouve un Cromorne en taille d’une durée de plus de 7 minutes, un Quatuor ou un Dialogue de Voix humaine développés sur 4 pages dans lesquelles la qualité d’inspiration n’est jamais prise en défaut : « Tout doit être grand, noble et auguste dans le lieu saint »[5].
Pour nous, il est clair que Lasceux veut réaliser ici une œuvre de mémoire, pour la « conservation »[6] de ce « bel art » de l’orgue. Une œuvre de mémoire, car, lorsqu’il rédige cet Essai en 1809, les choses – ce que nous nommerions aujourd’hui tradition – sont en train de se perdre. La Révolution a détruit nombre d’instruments (quand ce ne sont pas les édifices), balayé les emplois, annihilé les revenus. Quelques organistes, trop peu, jouent encore comme avant. La dédicace que Lasceux adresse, dans sa Nouvelle suite de pièces d’orgue (1812), à Nicolas Séjean, dit toute l’admiration que notre organiste porte à son confrère : « L’art de l’orgue qu’honore votre génie[7] a toujours fait l’objet de mes plus chères affections. Toute méthode serait inutile si les artistes musiciens étaient tous à portée de vous entendre souvent ; vos heureuses compositions, vos chefs-d’œuvre improvisés seraient pour eux autant de leçons vivantes dont la tradition se conserverait chez nos successeurs ». Lasceux a parfaitement conscience de la fragile pérennité de ce savoir-faire, du talent artistique d’une génération qui s’éteint. Aussi, il apparaît clairement que les pages du présent enregistrement ne sont rien d’autres que les transcriptions des improvisations dont les meilleurs organistes gratifiaient le public lors des séances de réceptions des chefs d’œuvre de la facture d’orgue à la fin du XVIIIe siècle.
Quand, en 1781, « environ 8 mil âmes [sic] »[8] se sont déplacées pour écouter le nouvel orgue de François-Henri Clicquot (1732-1790) à Saint-Sulpice, on imagine que ce ne sont pas « les harmonisations de plain-chant les plus pauvres, les versets les plus affligeants, ceux qui relèvent du monde de la pastorale, des musettes »[9] qui ont pu susciter cet enthousiasme pour l’instrument à tuyaux que personne n’a démenti. Or, beaucoup de nos contemporains ont cherché les grandes œuvres qu’auraient pu interpréter les Séjean, les Beauvarlet-Charpentier, les Balbastre, sur les fabuleux instruments de la fin du XVIIIe siècle, ceux construits par Clicquot, Lefebvre, Lépine, Dallery, Isnard… au point qu’on ait pu écrire : « aucune musique digne de ce serviteur potentiel [l’orgue] ne fut imaginée, dont nous ayions la trace écrite »[10]. Et d’ajouter plus loin : « N’est-il pas navrant de n’entendre quasiment, sur de tel chef-d’œuvre d’art organier, que musettes, passepieds et autres rigaudons ? »[11]. Effectivement, on peut convenir que la musique imprimée ne laisse qu’un témoignage imparfait, certainement très réducteur, de ce que l’on pouvait jouer et écouter sur les orgues de la 2e moitié du XVIIIe siècle. Seules, et c'est un cas unique que nous voudrions souligner, les pages de l’Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue donnent un aperçu des formes musicales improvisées par les grands maîtres de l’orgue de l’époque, fournissant de surcroît la façon dont ces compositeurs appréhendaient les orgues, avec de précieuses indications pour les registrations employées, le toucher et le tempérament.
Les pièces contenues dans l’Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue ne constituent aucune suite, aucun ensemble agencé en messe, magnificat, hymne, comme cela est généralement le cas dans la musique d’orgue française. L’ordre dans lequel nous les proposons dans le présent enregistrement est subjectif. Dans de nombreuses pièces, la coupe ABA + cadence + coda est utilisée, ce qui confère une structure classique à de nombreuses pages.
L'écriture musicale emprunte souvent, mais pas toujours, la grammaire du moment : la basse d'Alberti donne ainsi à de nombreuses pages un aspect plus vivant, plus aéré également, sans se départir d'une belle élégance. La volubilité du Morceau de flûtes pourra surprendre quiconque garde en mémoire le tendre récit de flûtes de la 2e suite de Clérambault : les temps ont changé ! Le recours au clavier d’écho (à Souvigny, le Bourdon du clavier de récit) permet toutes les nuances, avec des effets d’éloignement que Lasceux appelle de ses vœux : Lucet, dans son Paris en miniature[12], évoquant Balbastre qui les pratiquait également, les nommait les « agréables titillations » de l’oreille.
En d'autres endroits, comme dans le Trio par exemple, on perçoit l'influence d'un passé révolu, mais non oublié (on relève ainsi une sixte napolitaine qui n'est plus guère en usage). La Fugue, magistrale, utilise une recette empruntée par les plus grands (Séjean et Beauvarlet-Charpentier) : l'amalgame. Sous ce terme, on entend à l'époque le procédé qui consiste à placer en contre-sujet un thème de plain-chant (ici l'incipit du Kyrie Cunctipotens) : l'effet est à la fois grandiose et magnifique, permettant en outre une grande lisibilité des entrées. Le Fond d'orgue, écrit avec une grande sobriété et de subtils retards, ménage en sa seconde partie des modulations qui montrent que Lasceux n'a pas oublié le Traité d'harmonie de Rameau[13].
Dans d'autres pages, c'est tout l'héritage du Siècle des lumières et le piano-forte naissant qui transparaît. À plusieurs reprises l'influence orchestrale se ressent à travers des sonneries qui rappellent les cors. La Symphonie concertante, plus que toutes celles écrites par les contemporains (y compris les autres symphonies du même Lasceux) est ici réellement concertante entre deux instruments, le Cromorne du positif d'une part, le Cornet de Récit, d'autre part ; la virtuosité s'approche de l'écriture pianistique avec des formules brillantes de gammes à la sixte. On note un goût affirmé pour les anches, y compris lorsqu'elles sont mélangées avec les fonds, ce que le XIXe siècle développera dans des ensembles comme "fonds et anches récit", ou à travers la couleur de l'harmonium. La Voix humaine notamment se voit noyée au milieu des Prestants, Nazards et Flûtes de pédale : le discours chantant, affable, est apparemment sans prétention, mais au détour d'un couplet, peut-être au moment où on l'attend le moins, un passage en canon s'instaure. En revanche, un mélange semble perdre de l'attrait : c'est le Plein-jeu, relégué à un rôle strictement fonctionnel, celui de présenter le plain-chant. Et se dessine déjà la possibilité d'harmoniser ce plain-chant sur le grand-jeu, ce que Fessy, au XIXe siècle, confirmera.
Parfois, c'est vers l'avenir que regarde notre compositeur comme dans la péroraison du Chœur fugué dans lequel il construit un crescendo par accumulation et élargissement de l'écriture : conclusion saisissante et flamboyante, qui va de pair avec une notion interprétative réclamée par Lasceux, l'enthousiasme. Curieux terme lorsqu'il est employé en musique, que l'on pourrait associer à énergie, verve, passion ; rien, en tous cas, qui appelle un esprit compassé, métronomique ou scolaire.
Le Quatuor, le Cromorne en taille apparaissent comme de vraies réussites, offrant des moments d'une incroyable poésie, assez rarement égalés. Lasceux a certainement conscience d'écrire là le chant du cygne de l'orgue classique français. Son manuscrit souffre hélas d'un évident manque de relecture qui a vraisemblablement entravé sa diffusion, et, en maints endroits, l'ornementation, l'indication des silences et des différents claviers trahissent des imprécisions, erreurs manifestes que nous avons tenté de rectifier. On espère que cet enregistrement ne sera pas le chant du cygne de l'orgue de Souvigny, bien fatigué en 2023, l'un des deux seuls instruments conservé du grand facteur François-Henri Clicquot. Car l'état de l'instrument, en dépit des soins attentifs et vigilants de l'entreprise Jurine chargé de son entretien, se dégrade de manière inquiétante. On voudra bien excuser certains bruits mécaniques et les grincements parfois disgracieux de la soufflerie, non gommés dans le présent enregistrement. L'accord même devient parfois incertain en raison de la fatigue des sommiers et de la corrosion des tuyaux. Il n'en reste pas moins vrai que l'orgue a gardé une part de sa magnificence, témoin d'une splendeur passée à transmettre, à pérenniser.
Jean-Luc Perrot, Février 2023
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Coproduction centre Art Culture et Foi du Sanctuaire de la paix à Souvigny & association Les Amis de l’Orgue Clicquot de Souvigny.
Remerciements : M. le Maire Michel Barbarin, M. le Recteur Pierre Marminat, Luana La Rocca, Francis Prod'homme et Yvonne Mills, Michel Trémoulhac, Maurice et Christiane Keller, Pierre Gouin, Jos Mineur, Jean Saint-Arroman.
Avec l'aimable autorisation des éditions Outremontaises.
[1] HARDOUIN (Pierre), Deux actes notariés concernant Lasceux, in Revue de musicologie, n° 118, 1958, pp. 217-218.
[2]Mercure de France, juin 1775, p. 193.
[3] L'ouvrage de Maurice Decourcelle, La Société académique des enfants d'Apollon (1741-1880) n'apporte hélas aucune précision à son sujet. Un certain Traversier est cité par Éric Kocevar in Jean-Jacques Beauvarlet dit Charpentier, bulletin des Amis de l'orgue, nos333–335, Paris, 2022, p. 122 et Pierre Dubois in Balbastre, un virtuose au siècle des Lumières, Paris, l'Harmattan, 2021, p. 192. S'agit-il du même ?
[4] LASCEUX (Guillaume), Essai théorique et pratique, 1809, réédité en fac-similé d'après le manuscrit autographe ms. 2249 de la Bibliothèque nationale de France, Fuzeau, 2011, p. 3.
[5] LASCEUX, id., p. 6.
[6] Op. cit. p. 40.
[7] Lasceux évoque ici le génie de Séjean : il faut en effet certainement considérer Séjean, titulaire de l'orgue de Saint-Sulpice, qui passe alors pour le meilleur instrument de France (bien plus que celui de Notre-Dame), comme le meilleur organiste de son époque. Malheureusement, Séjean ne laisse à la postérité que 3 fugues et 3 Noëls.
[8] Lettre de François-Henri Clicquot, citée par : KOCEVAR (Éric), op. cit., p. 118.
[9] DUFOURCQ (Norbert), Le livre de l'orgue français, tome IV la musique, 1972, Picard, Abbeville, p. 161.
[10] LACAS (Pierre-Paul), La facture d'orgue française et la philosophie de l'art au Siècle des Lumières : Rameau, Rousseau – Dom Bedos, Clicquot, Actes du colloque de Souvigny, association Saint-Marc, Souvigny, 1985, p. 187.
[11]Id. p. 171.
[12] LUCET (Jean-Pierre-Louis, Marquis de), Paris en miniature, Pichard, Paris, 1784, p. 57.
[13] De même, Éric Kocevar souligne "l'étonnante modernité du langage harmonique, et notamment des modulations" de Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier. Op. cit. p. 302.
Guillaume Lasceux (Poissy 1740 – Paris 1819) is a key figure in the French classical organ. A pupil of Charles Noblet, married to Marie Henriette Pigeon in 1767, with whom he had four children, Lasceux was organist in several different Parisian churches (Saint-Étienne-du-Mont, Couvent des Mathurins, etc.). A fertile composer in different genres -romances, motets, sonatas, quartets...-, he is remarkable for his longevity, both as a performer but also as a composer since his musical contribution for his favourite instrument, the organ, spreads from 1772 (Journal of organ pieces containing Magnificat and Christmas masses) to 1820 (12 fugues). It offers the particularity of largely spanning the century and of taking a nostalgic look at the pre-revolutionary period at the beginning of the 19th century. If Lasceux published a vast printed corpus, to be compared with the works of Jean-Jacques Beauvarlet dit Charpentier or Josse-François-Joseph Benaut, we will particularly remember him for a curious and unique Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue (1809) which is of the greatest interest. In this rare work, he gives, from the writings of Monsieur Traversier, an organ lover, and a member of the Academic Society of the Children of Apollo, his own testimony on the organ, its teaching and transmission, lamenting that "this beautiful art is coming to an end and is threatened with disappearing from France for lack of students and academic books of this kind.”
“Unique and of the greatest interest,” we have just written. Indeed, if the printed publications of Lasceux are intended for commercial use, like the organ miscellanea of his contemporaries, that is to say intended for people of limited talent primarily in the service of the offices, “l’Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue,” manuscript work, proceeds from large-scale pieces, of real virtuosity, almost all with obligatory pedal (noted in the "modern" way on a 3rd stave) and, for the majority of them, without any real liturgical destination. Nowhere else, by any author, does one find a Cromorne en taille lasting more than seven minutes, a Quatuor or a Dialogue de Voix humaine developed on four pages in which inspirational quality is never lacking. "Everything must be great, noble and majestic in the holy place.” With the exception of a few plainsong pieces, most of the pieces in the collection are large-scale pages that would find it difficult to have a place during a celebration where the liturgical practice of the time, that of alternation, presupposed relatively short verses.
For us, it is clear that Lasceux wants to create here a work of memory, for the "conservation" of this "beautiful art" of the organ. A work of memory, because, when he wrote this Essai in 1809, things – what we would call tradition today – were in the process of being lost. The Revolution destroyed a number of instruments (not to mention buildings), swept away jobs, annihilated incomes. On this subject, Lasceux is indignant, castigating the "such unreasonable prejudice which persists in denying organists the proper talent of teaching the piano.” Some organists, too few, still play as before. The dedication that Lasceux addresses, in his Nouvelle suite de pièces d’orgue (1812), to Nicolas Séjean, expresses all the admiration that our organist has for his colleague: "The art of the organ that honors your genius has always been the object of my dearest affections. Any method would be useless if the musicians had the possibility of hearing you often; your happy compositions, your improvised masterpieces would be for them so many living lessons, the tradition of which would be preserved among our successors.” Lasceux is well aware of the fragile durability of this know-how, of the artistic talent of a generation that is dying out. Also, it clearly appears that the pages of this recording are nothing other than the transcriptions of the improvisations with which the best organists gratified the public during the reception sessions of the masterpieces of organ building at the end of the 18th century.
When, in 1781, "about 8,000 people [sic]" came to listen to the new organ built by François-Henri Clicquot (1732-1790) in Saint-Sulpice, we can imagine that it was not "the poorest harmonisations of plainsong and the most distressing verses that belong to the world of pastoral and musettes” that could arouse this enthusiasm for the pipe instrument that no one has ever denied. However, many of our contemporaries have looked for the great works that could have been interpreted by Séjean, Beauvarlet-Charpentier, Balbastre, on the fabulous instruments of the end of the 18th century, those built by Clicquot, Lefebvre, Lépine, Dallery, Isnard … to the point that one could write: “unfortunately no music worthy of this great servant [the organ] was ever written.” And to add further: "Isn't it heartbreaking to hear mainly, on such masterpieces of organ building, only musettes, passepieds and other rigaudons?” Indeed, we can agree that printed music leaves only an imperfect and certainly very restrictive testimony, of what one could play and listen to on the organs of the second half of the 18th century.
We would like to emphasise a unique case: the pages of l’Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue can give an overview of the musical forms improvised by the great masters of the organ of the period, providing moreover the approach of these composers towards the organs, giving precious indications of the registrations they used, their touch and the temperament.
The pieces contained in l’Essai théorique et pratique de l’art de l’orgue do not form any suite, they do not constitute any ensemble arranged in mass, magnificat, hymn, as is generally the case in French organ music. The order in which we offer them in this recording is entirely subjective. In many pieces, the cut ABA + cadence + coda is used, which gives a classic structure to many pages.
The musical writing often, but not always, borrows from the grammar of the moment: Alberti's bass thus gives many pages a more lively, more airy aspect, without departing from a beautiful elegance. The volubility of the Morceau de flûtes may surprise anyone who remembers the tender tale of flutes from Clérambault's 2nd suite: times have changed! The use of the Echo keyboard (in Souvigny, the Bourdon of the Récit) allows all the nuances, with effects of distance that Lasceux calls for: Lucet, in his Paris en miniature, evoking Balbastre who also practised them, called them the “pleasant titillations” of the ear.
In other places, as in the Trio for example, one perceives the influence of a bygone but not forgotten past (there is thus a Neapolitan sixth which is hardly in use anymore). La Fugue, masterpiece, uses a recipe borrowed by the greatest (Séjean and Beauvarlet-Charpentier): l’amalgam. At the time, this term meant the process of placing a plainsong theme as a countersubject (here l'Incipit du Kyrie Cunctipotens): the effect was both grandiose and magnificent, allowing great readability of the entries. The Fond d'orgue, written with great sobriety and subtle delays, provides modulations in its second part which show that Lasceux has not forgotten Rameau's Traité d'harmonie. Such a piece should lead today's organ builders to reflect on the temperaments potentially in use in organs at the end of the 18th century!
In other pages, it is the whole heritage of the Age of Enlightenment and the nascent pianoforte that shines through. We repeatedly perceive the orchestral influence through ringtones reminiscent of horns. La Symphonie concertante, more than all those written by contemporaries (including other symphonies by the same Lasceux) is a two-part concerto between the Cromorne of the Positif on the one hand, the Cornet de Récit, on the other; virtuosity approaches piano writing with brilliant formulas of scales in the sixth. We note a strong taste for reeds, including when they are mixed with the backgrounds, which the 19th century would develop in ensembles such as "flutes and reeds of the Récit " or through the colour of the harmonium. La Voix humaine in particular is drowned in the middle of the Prestants, Nazards and Flûtes de pédale: the affable singing speech is apparently unpretentious, but at the end of a verse, perhaps at the moment when we least expect it, a cannon passage is established. On the other hand, the Plein-Jeu seems to lose its attraction relegated to a strictly functional role, that of presenting the plainsong. And the possibility is already taking shape of harmonizing this plainsong on the Grand Jeu, which Fessy, in the 19th century, would propose.
Sometimes it is towards the future that our composer is looking, as in the peroration of the Chœur fugué in which he builds a crescendo by accumulating and expanding the writing: a striking and flamboyant conclusion, which goes hand in hand with an interpretative notion demanded by Lasceux, enthusiasm. Curious term when used in music, which could be associated with energy, verve, passion; nothing, in any case, that calls for a stuffy, metronomic or scholarly mind.
The Quatuor, the Cromorne en taille appear to be real successes, offering moments of incredible, quite rarely equalled poetry. Lasceux is certainly aware that he is writing here the swan song of the classical French organ. His manuscript unfortunately suffers from an obvious lack of proofreading which probably hindered its distribution, and, in many places, the ornamentation, the indication of silences, of the different keyboards betray inaccuracies, obvious errors that we have tried to rectify.
Translation Yvonne Mills and Francis Prod'homme, thank you to Marie-Paule Laffay.